96 Heures, a su m’étonner. Le polar de Frédéric Schoendoerffer, sorti en salle le 23 avril 2014 propose un duel fascinant entre deux acteurs au talent immense: Gérard Lanvin et Niels Arestrup. La confrontation qui s’installe sous les yeux du spectateur possède une tension palpable qui joue avec les nerfs.
J’ai eu la chance de rencontrer les deux comédiens lors d’une table ronde dans les locaux du distributeur ARP Sélection. J’étais en très bonne compagnie avec Fred des Chroniques de Cliffhanger et Emmeline d’Ecran Noir. Mon petit coeur se remet du très bon moment avec des questions/réponses savoureuses. A plusieurs moments, le sourire était présent devant les répliques emplies de franchise, d’intelligence et d’un amour incroyable du cinéma.
Q/ Qu’est-ce qui vous a convaincu l’un et l’autre d’accepter ce rôle?
Gérard Lanvin:
Il eu une rencontre avec Frédéric Schoendoerffer un jour et elle m’a parue intéressante. Parce que ce qu’on s’est dit, son amour du cinéma, sa manière d’aborder ce travail m’avaient convaincus qu’il fallait à un moment ou à un autre avoir la possibilité de travailler ensemble. Donc ça s’est proposé deux fois et puis deux fois les scénarios que Frédéric me proposait ne m’intéressaient pas trop. Et là, la chance a été d’avoir cette commande, pour lui en tout cas, de la part de ARP. La possibilité de travailler avec Niels a fait que les producteurs étaient motivés. Il n’y avait plus d’à priori négatif, que du positif. Ensuite il a fallu bien évidemment qu’on se rencontre, qu’on soit de la même espèce, c’est à dire, demander un peu plus d’exigence au niveau du scénario. Car un scénario c’est toujours à refaire, à réécrire une fois que le casting est déterminé. Donc on a eu de la part de Frédéric un rapport de travail heureux, c’est à dire, il nous a fait confiance dans nos demandes. On a retrouvé les auteurs avec qui on a parlé et avec qui on a été obligés de se remettre un peu à l’œuvre.
Pourquoi ce rôle de policier? Il diffère des lieutenant/commissaire et autres de votre filmographie. Est-ce intéressant pour vous de jouer un autre genre de policier?
Gérard Lanvin:
Oui parce que le costume du policier ou du voyou est parfois assez caricatural. Donc là, on avait à faire à un film d’ordre différent. C’est un film de genre mais on est plus dans la psychologie. Les deux héros sont des bêtes de terrain. La confrontation tout d’un coup devenait assez intéressante arrivée à nos âges pour savoir que ces hommes ont un passé, on pouvait se servir de la fatigue, de nos visages et là on a à faire à un vrai metteur en scène qui a su aller très près des acteurs et de leurs intentions dans la difficulté d’une séquestration, c’est à dire l’angoisse, la peur et en même temps le sang froid qu’il faut savoir garder en face de votre adversaire. C’était ce rapport là qui était intéressant à jouer, après avoir une carte de police ça n’a pas d’intérêt.
96 Heures se vit plus comme un film policier avec une intrigue qu’un film d’action…
Gérard Lanvin:
Et en plus le film d’action, il faut avoir la possibilité de le jouer dans les jambes. Quand on vous dit « tu vas courir derrière la voiture », il ne faut pas oublier que c’est vingt fois et ils oublient parfois qu’on a un peu dépassé l’âge de courir vingt fois à fond. (Là j’ai eu l’Arme fatale en tête, et j’ai souri bêtement en imaginant Lanvin et Arestrup dans la scène des toilettes et du déminage. « trop vieux pour ces conneries »)
Niels Arestrup:
Encore une voiture électrique, on pourrait suivre un peu. (Rires)
Gérard Lanvin:
Il y a une fatigue dans les jambes, les actions à faire, les combats… C’est plus tout à fait ce qu’on recherche. (Rires)
Avant de tourner ensemble quelle image aviez-vous l’un de l’autre?
Niels Arestrup:
Moi j’avais plein d’images parce que j’ai vu beaucoup de films avec Gérard. Il y a cette image d’acteur, cette présence… Il y a des acteurs qui impriment d’une certaine manière l’endroit dans lequel ils sont et Gérard en fait partie, c’est assez rare. Et puis c’est le bonhomme aussi. Je prenais beaucoup de plaisir à le voir dans les interviews parce qu’il n’hésite pas, il sort les choses qu’il a dans le cœur et il les exprime. Il dit ce qu’il pense sans se soucier de savoir si ça va plaire ou pas, c’est une qualité rare. Je me suis dit que c’était une chance de pouvoir croiser cet homme et de travailler avec lui. C’est la première fois, on a travaillé un peu et même beaucoup sur le scénario, on avait l’impression que l’on pouvait améliorer des choses et on a trouvé des gens qui étaient ouverts et disponibles. On a essayé d’amener notre modeste participation à ce film.
Que représente le fait de vous retrouver après Diplomatie dans un nouveau face à face, un nouveau duel d’acteurs. C’est intéressant pour un acteur de théâtre de jouer dans un film qui repose sur un duo?
Niels Arestrup:
Je n’ai pas spécialement envie ou besoin que ce soit des duos ou des duels. Ce sont des choses qu’on vous propose. C’est le fruit des hasards, les circonstances qui font que deux fois de suite après Diplomatie avec André Dussolier je me retrouve en tête à tête avec un partenaire, mais finalement ça m’est arrivé assez rarement.
Comment avez-vous justement travaillé votre duo?
Niels Arestrup:
Ce sont deux mecs qui ne sont plus des « perdreaux » de l’année, qui ont vécus chacun d’un côté de la barrière, un grand truand et un grand flic. On doit faire un film qui se déroule pendant une heure et demie pour l’essentiel dans un lieu clos. Le duo vit enfermé. Ce n’est pas de la tarte. On a essayé d’aller jusqu’au bout du principe. C’est d’ailleurs une partie du travail qu’on a fait avec les scénaristes au début. Après, chacun des personnages et des deux acteurs sont dépendants de l’autre. C’est Gérard qui me fait jouer et c’est moi qui d’une certaine manière fait jouer Gérard. On est lié. C’est beaucoup de la réaction aux impulsions que vous donne le partenaire.
Gérard Lanvin, quelle image aviez-vous de Niels Arestrup avant de tourner avec lui?
Gérard Lanvin:
Une image très positive au niveau de l’acteur après je ne connaissais pas sa personnalité. On s’est rencontré chez moi vers la Baule. Ça a duré une petite demi-heure mais il y avait la vibration et aussi et ce que j’attendais de Niels c’est sa réaction à ce moment-là, c’est à dire le doute. Car c’est bien d’avoir un scénario, encore faut t-il qu’il vous suffise, et pour être suffisant il faut retravailler, il faut avoir le point de vue de son partenaire etc… pour qu’une fois que le film soit en chantier, ne plus avoir à discuter, avoir à jouer! Jouer c’est aussi s’amuser même si c’est dans le drame, jouer, profiter du talent de l’autre. Vous n’allez en gros que sur des affaires de duo que parce que c’est une évidence. Et l’évidence c’est le respect du travail de l’autre, on a remarqué son travail, sa personnalité, sa présence et à partir de ce là on dit oui ou non. Moi, j’ai dit oui tout de suite parce que je ne voyais pas qui d’autre pouvait venir sur ce rôle. Il a été proposé par Michèle Halberstadt, qui est la productrice avec Laurent Pétain mais ça a été d’un coup une évidence pour tout le monde après il fallait que Niels accepte. Il l’a fait et on a pu travailler ensuite dans l’amitié, dans le respect et aussi dans l’exigence.
Et votre travail au niveau du scénario ça s’est passé comment? Vous avez fait des suggestions de dialogues? Sur les personnages?
Gérard Lanvin:
Ça s’est passé ici, dans cette pièce! (Rires et regard autour de lui) Il y a eu des moments très tendus. Parce qu’il y a des auteurs qui refusent de revisiter les histoires, qui refusent de modifier leurs écrits. Ca a changé de mains, Frédéric a un scénariste qui a pu intervenir. A départ les auteurs pensaient que c’était suffisant, qu’ils avaient suffisamment travaillés dessus, ce en quoi ils ont le droit, mais nous on ne trouvait pas. (Rires) On a fait le film au mieux qu’on a pu. Notre intention d’acteur n’est pas autre que ce que les gens se distraient une heure et demie avec un film dans lequel on a la chance d’être.
Est-ce que vous auriez pu envisager d’interpréter chacun le personnage de l’autre?
Niels Arestrup:
On n’y a pas pensé, ce n’est pas un jouet, je pense qu’il y avait une certaine cohérence. Gérard était appelé à faire un travail très particulier, sur quelqu’un qui est scruté à chaque instant pendant toutes ces heures. Il doit essayer de laisser paraitre le moins de faiblesses ou de fragilités possible, en face d’un fauve, qui peut lui balancer un coup de patte à n’importe quel moment et il le sait donc il est plus sur le contrôle. (Le sérieux de Arestrup détonne encore plus avec ses paroles). L’autre est un peu plus sanguin et il se réfère davantage à son cerveau reptilien qu’à son intelligence. Il est instinctif, ce qui est aussi une forme d’intelligence.
Q:En quoi un rôle de méchant est intéressant à jouer pour un acteur sans que ce soit pour autant manichéen comme dans le film?
Niels Arestrup:
Kancel n’est pas complètement méchant, c’est un des soucis qu’on avait quand on a travaillé, de ne pas être justement manichéen.
Quel genre de directeur d’acteurs est Frédéric Schoendoerffer?
Gérard Lanvin:
Frédéric Schoendoerffer est précis. Il sait très bien filmer les gens, les émotions, les non-dits. C’est quelqu’un qui est élevé dans la tradition du cinéma. Il est passionné par ce qu’il fait. Il est très attentif aux propositions, très solide en tant que technicien. Dans le sens, que vous n’avez pas à vous préoccuper de ce qu’il fait, vous savez que ce sera vu. Une émotion négative, positive, dans l’œil il est là tout près. Il ne perd pas son sang froid et reste totalement concentré sur ce qu’il a à faire. C’est un patron exigeant et très motivant. Car, il sait vous dire les choses de son contentement et de sa joie d’avoir tiré de la scène ce qu’il espère être le maximum. C’est quelqu’un de très motivant en fait.
Et s’il y avait un nouveau projet avec lui…?
Gérard Lanvin:
Demain matin, pas de problèmes!
Niels Arestrup:
Moi demain soir… (Rires)
Q: Neils Arestrup, avoir reçu un César pour Quai D’Orsay, a-t-il changé les propositions que l’on vous fait?
Niels Arestrup:
Non pas du tout. D’ailleurs pour l’instant, il n’y en a pas des propositions. Les gens, au moment où ça se passe, on a l’impression que ça a de l’importance, mais en fait ça n’en a aucune. Ca ne change rien à rien, c’est une espèce de petite satisfaction bien entendu, mais très franchement en même temps c’est totalement absurde. Ce n’est pas loin d’être ridicule, c’est souvent très ennuyeux et ça sert pas à grand chose au final.
Q: Gérard Lanvin, êtes-vous d’accord avec Niels Arestrup?
(la suite a été épique… petit coup de canif dans les cérémonies et les récompenses. )
Gérard Lanvin:
Oui! Les prix d’interprétation ça ne me dérange pas, ce qui me dérange c’est le mot meilleur, mais surtout c’est chiant comme la mort et ça ne sert à rien. J’y suis allé une fois et je me suis profondément fait chier, mais j’étais assis à côté d’un ami qui s’appelle Patrick Dewaere et il ne l’a pas eu. Patrick Dewaere c’est l’un des plus grands acteurs qu’on ait eu (la tendresse et l’attachement se lisait sur les traits de Lanvin)- Il m’a dit avec beaucoup de tristesse « Je ne reviendrais plus jamais ici » et je lui ai répondu « Moi non plus ». Bêtement. Avoir un César ne signifie pas qu’on est sauvé.
Quels sont les metteurs en scène avec qui vous rêvez de travailler?
Gérard Lanvin:
Le seul metteur en scène avec qui j’ai envie de travailler, c’est celui qui va me proposer quelque chose avec de l’exigence et avec un scénario intéressant à faire. J’attends de la qualité. Parfois on est obligé d’aller vers moins d’exigence, (petit sourire, tout le monde a une filmographie avec des titres qu’ils aiment plus ou moins) le metteur en scène que j’attends c’est celui qui a de l’estime pour le travail que je fais, celui qui a une vraie envie et celui qui me propose une vraie histoire. C’est celui là que j’attends. Je n’ai aucun nom à proposer.
Est-ce que vous auriez l’intention de retourner au théâtre Neils Arestrup?
Niels Arestrup: Oui sûrement, c’est presque mon berceau, j’aime ça depuis toujours. J’apprécie cet art, cette expression, le retour direct du public sur ce qu’on est en train de faire. J’espère que je continuerais à en faire.
Vous n’avez pas de projets en ce sens pour l’instant?
Vaguement, c’est pas complètement affirmé, donc on n’en parle pas, mais j’espère que ça va venir.
Et vous Gérard Lanvin, le théâtre vous attire?
Gérard Lanvin:
Non, ce n’est pas mon truc. J’ai une vie différente de celle d’un homme qui pourrait pratiquer l’exercice, mais le côté répétitif de la chose et la vie que ça implique ne me conviennent pas. C’est stressant de faire du théâtre et j’ai été parachuté là dedans par hasard. J’ai pas eu de formation particulière. J’ai essayé une fois le théâtre et c’est très difficile et c’est une vie qui ne me convient pas. Tous les soirs, il faut répéter les mêmes gestes, les mêmes scènes, cela demande beaucoup d’énergie à donner, etmoi ça ne me rend pas heureux. Mais bon il ne faut jamais être définitif. (Neils Arestrup le taquine, un jour peut-être le duo sera-t-il présent sur les planches, j’en serai ravie pour ma part).
QQuel aspect de votre jeu Gérard Lanvin, aimeriez-vous exploiter? Quelque chose que vous n’avez jamais fait?
Un film dans le costume que porte Niels dans Diplomatie m’intéresserait. J’adore l’idée de jouer un militaire, de porter un costume. Le système me fascine. J’ai toujours été attiré par les uniformes, par les armes et les comportements me fascinent. Je suis sur qu’il y a des rôles magnifiques à faire avec ça.
Quels sont vos projets?
Niels Arestrup:
Moi j’ai rien. (Rires)
Gérard Lanvin:
Moi j’ai eu la chance après notre film de travailler avec monsieur Jean Becker et de faire un film qui s’appelle Bon rétablissement qui se passe que dans une chambre d’hôpital. Je suis assez mobile maintenant (Rires quand on lui signale que c’est encore un huit clos) En tout cas, j’ai pris un énorme plaisir à tourner. Jean-Loup Dabadie a écrit les dialogues avec Jean, ça sortira en septembre et après on ira voir ailleurs si on y est.
Merci à ARP Sélection. Merci aussi à Emmeline d’Ecran noir et Fred des chroniques de Cliffhanger et pour l’échange d’idées.